Sacré Schnauzer : allégeance et abnégation
Ils sont quatre. Le père du style notaire dégarni, la mère très Figaro Madame et les deux enfants qui ont une tête à s'appeler Marie-Sixtine et Jean-Chrisostome. Une famille unie, heureuse, sage et propre sur elle ; prête à aller camper et chanter ensemble la joie du Seigneur aux prochains JMJ.
Il sont tous là, en rang d'oignon derrière la porte. Ils m'attendent comme le Messie (c'est un blasphème, ça ?). Youpi est enfermé dans la cuisine. Il enrage et tambourine à la porte. Madame me lance un regard livide, Monsieur voudrait sauver l'honneur : "Youpi, suffit !". Et bien sûr, Youpi tambourine de plus belle.
Youpi était un charmant schnauzer moyen, un chiot adorable, quoi qu'un peu turbulent. Tellement gentil ! Collant, oui. Un peu envahissant, même, mais si mignon... Ca, c'était il y a 15 mois. Aujourd'hui, c'est un peu différent...
Ils le savent bien. Ils ont dû louper quelque chose. Ils ont été trop coulant, ça c'est sûr. Il était tellement mignon !
Tout a commencé quand Youpi n'a plus voulu descendre du canapé, le soir quand ils regardaient la télé. Oh, c'était pas bien grave. Il n'avait qu'à dormir là, après tout. Le pauvre, un petit chiot d'à peine 8 mois.
Puis, après quelque temps, Youpi a voulu le canapé pour lui tout seul.
Dociles, entre allégeance et abnégation, frappés par la crainte du dieu Youpi et de ses crocs bruyament sortis, les braves gens lui ont cédé la place... et se sont assis par terre, adossés au canapé ! Si si ! Juste pour un soir, hein... Enfin, c'était ce qu'ils croyaient...
Aujourd'hui, Youpi n'a plus envie qu'on s'adosse à SON canapé. Le dernier qui a essayé a encore la trace de ses crocs sur la nuque. Pendant quelque temps, Papa et Maman se sont dit que ça allait finir par lui passer. C'était une crise. Lui qui était si mignon, il ne pouvait pas leur vouloir de mal. Il était juste un peu caractériel. Voilà donc toute la petite famille assise par terre sur des coussins... à un mètre du canapé ! Mais des jolis coussins, hein. Achetés exprès pour l'occasion...
Dieu merci, ils m'ont raconté cette histoire au téléphone. Je n'ai eu qu'à maquiller la stupeur dans ma voix, pas besoin de masquer mon regard éberlué.
C'est donc là qu'ils ont enfin décidé de m'appeler... Il était temps ! Un peu tard ? Oui. Trop tard ? Non. Au contraire, ce genre de cas très exacerbé se résout assez bien, à condition que la famille n'aie pas pris trop peur.
Je fais un signe de tête à mon stagiaire, du genre "prêt ?". Je respire un bon coup. Je me tiens prête à parer l'attaque. "Allez, ouvrez-lui la porte"... Un, deux, trois. Grrrrrrrwaarrrf !